Index de l'article

 

 

 

Marraine de:

"Magnifique printemps 2019"
Le printemps des poètes à Lyon
Finaliste de la bourse Gina Chenouard 2020 de Poésie

 

 

 

Les Routes premonitoiresLes routes prémonitoires

Éditions La passe du vent

Une brassée de poèmes où la vie s’écoule, parmi les hommes et les femmes de ces temps, et d’un territoire à l’autre.
Cela chante. Cela murmure aussi parfois.

 

 

Voleurs de nuit

 

Coulant des tombereaux
Des grappes lourdes d’hommes
Dévoient les cités noires
Le crieur de journaux
Passe frôlant les femmes
Les pince en tapinois
Et s’enfuit dans le soir

Comme ça pue la vie !
Le nez à l’agonie
Respirer quelque part
Un souffle qui efface
Les miasmes des trottoirs
Je vais le nez museur
Le cœur à la surface
Gémir contre les sourds

 

 

Avion d'Eastern AirlinesCouverture de la revue Anthologie Triages aux éditions TarabusteQuelques poèmes extraits des Idiomes de l'ouest

Anthologie Triages
éditions Tarabuste, 2001

 

 

VOYAGER

Et tu auras compris les sources du plaisir
Halo obscur qu'allume le jour
Et qui rougeoie en plein midi
Mais se consume seul
Aux chapelles de la nuit.

Et tu sais les corps qui enfantent
Qui se distendent comme des métaux
Femmes lunaires
Multipliées
Par les phases du sang nouveau
Leur ventre lisse est une enclume.

Et tu as soif des départs
Lorsque le corps s'affranchit
Des terres écorchées rose vif
Contre les montagnes plénières.

Tu voudrais te couler dans les routes étranges
Les laisser te conduire
Limoneuses,
Routes-Nil, routes-Gange
Profondes,
Routes-Rhin, routes-Rhône,
Routes-Mississipi.

Il ne s'agit plus de retourner
En d'illusoires pélerinages
Aux chers calvaires du passé
Car nous avons tourné la page.

Chercher les hommes où qu'ils se trouvent
Aux campagnes blessées par l'été,
Aux gares taillées dans le goudron des nuits
Dans les bars
Où ceux qui allaient mourir
Une fois dernière
Saluaient
Un coup de rouge, un coup de blanc,
Les coeurs vibraient dans la fumée,
Le diable hurlait sous les tables
Les visages se tordaient
Comme d'antiques lessives
Durcies aux aubes de Décembre,
A chaque avalanche de rires
Plombés
Tu tressaillais.
Fermez la porte au grelot mort!
Rouleaux de vent rasant les plinthes...
Je parle ici d'un de tes rêves
Qui te fit beaucoup voyager.

 

 

CIELS

Le ciel va vite
Et court vers l'Est
Radeaux propulsés gris fumée
Coulent nuages
Véloces Mississipis de silence
A des hauteurs
A des hauteurs
Hauteurs profondes.

Le ciel va vite
Les morts pourchassent
Tassés à gauche pêle-mêle
Dans un désordre d'Occidents
De tibias et de linges lacérés
Bandelettes flottantes
Comme des oriflammes
Serait-ce la chevauchée Hennequin
Ce noir tumulte
Qui n'est qu'un point?

L'amour va vite
La mort talonne
Rêve pour mensonge
Joie pour nuitée
Le ciel va vite
Les baisers filent...

 

 

La Maison du pendu

C'est toujours la maison du pendu
Où fermentent les feuilles mortes
La rivière grosse de l'automne
Traînant
Demi noyées
D'étranges rames
Longs corps ligneux
Membres tronqués
Dans la déroute des eaux montantes.
Les jeudis d'Octobre engloutis
Les enfants
En rouges cohortes
Se jettent aux vitres
Comme mitraille
Avec le froid, avec la bruine
Saccages vertigineux
Dans chaque pièce au sol disjoint
Et sur les gravats d'autres âges.
Mutilés, feuilles volantes,
Ailes arrachées,
Cent journaux, autant de gazettes:
"Modes de Paris" pour demoiselles
Couchées sous la terre trempée
Tapis de feuilles tuées
Masquant la traîtrise vermoulue des planchers
Dieu qu'il fait bon donner du pied
Effriter la moisissure
Estampillée au coeur des pages!
Broyer les dos aux fils brunis
Par la crasse, les déluges ou les incendies!
Les jeunes goths s'amusent fort
Aux poches les pommes de maraude
La volière de feuilles
Sentant la suie mouillée, les girolles
Tourbillonne
Sous les coups de pied glaiseux
Et les bourrasques hurlées
Aux gorges vastes des cheminées.
Les enfants s'activent au carnage
Car c'est Jeudi
Un jour de pluie
Ils savent les journaux d'un autre âge
D'avant la mort
De bien avant leur naissance
Et qu'il siéra
Au moment de prendre le large
De s'accroupir sous l'escalier
Pour s'y torcher avec deux pages
Car c'est ainsi que l'on conjure
La malédiction du pendu.

 

 

Le joint du ciel et de l'enfer

Encore ai-je bu la saison
Aux collines crépusculaires!
Parois fumantes
De feuilles mortes
Filant aux brasiers de Novembre,
Des plaines lasses
Comme des femmes,
Tapies
Sous leurs manteaux de cendre.

J'ai bu la brume
Et puis le vent
Et les fleuves montés au ciel,
Encore la piqûre sur la langue
Des brouillards grisants de Novembre.
J'ai bu aux sources de l'hiver.

Quand tout se sera assoupi,
La Nuit, vigile solitaire,
En tournoyant sur nos yeux clos
Eveillera,
Rêves de voile!
Rêves de mer!
Où donc est la passe secrète
Qui mène aux îles fortunées?
De quel côté du mur de brume?
Dans quel pli
De la gaze de pluie?

Appareillez, vieux rêves Celtes!
La terre est par-delà l'horizon,
Mais l'horizon je ne devine
Tout est noyé de par la bruine
La terre est par delà le frimas,
Là où les morts rient au soleil,
Et les Rois, dans leurs capes d'hermine,
D'éternité tiennent conseil.

Je suis la biche méhaignée
Blanche de robe
Qui court au ciel.
Elle sait la fissure et la faille
De la nébuleuse muraille.

Lolita d'Alexandrie

Si loin d'Alexandrie
Lolita!
Hôtel Globe et Cécil
Le majordome nubien
Akhénaton en livrée bleu de Prusse
A posé le plateau du petit déjeuner
Se détournant à dessein
Du drap sabré de jour limpide.
Le flot d'une chevelure enfantine
En jaillit
Comme un trophée charmant.

Aux bains de Cléopâtre
En maillot plus noir
Que les sept péchés capitaux
Sur sa chair pâle et meurtrie
Lolita!
Février roulait des tramways incertains
Alourdis par la pluie
Et l'oubli des nageurs de l'été
Sur la corniche violentée.

On mimait l'amour dans les maisons closes
Et sur les écrans géants
De la luxure en velours rouge.
Vanille et ambre solaire
Jonhson baby oil
Ton parfum traverse l'écran.
Les naïades depuis des lustres
Lovées amoureusement
Au plafond astronomique
Fées redevenues étoiles
Tordent leur croupe
Sous la fourche des tritons.
Cinéma Toutmès
Sis place de la Révolution.

Lolita!
Les bains de Cléopâtre
Dégoulinent
De toutes les ondées livides
D'un vieux printemps alexandrin.
Decadere!
Un jour
La ville glissera dans la mer
Fondra
Ira vers sa dissolution.
Tout est funèbrement décadent
Buriné, crevassé, percé de trous de ciron
Comme ces blocs de granite
Géants friables, piqués de petite vérole
Que la grue tire, couverts d'algues
Des fonds marins
Au large de l'île de Pharos.
Et ces sphinx
Aux flancs historiés de coquillages!

La ville a la lèpre de l'histoire.
Si vieux: les quais, les bars,
Les marins gallois ou galliciens
Toujours les mêmes marins,
Même terre, même mer,
Même remembrances d'antiques naufrages
Chantés dans les idiomes de l'Ouest.
Le temps coule et se délite
Tout est si vieux!
Sauf toi, Lolita!
Aux frêles membres hachurés
Tranche à tranche.
Du pain blond
Sectionné par les lamelles du store.
Dans les rayures du sombre au clair
Un peu de toi existe
Et s'anéantit aussitôt.
Eclairs de Lolita
Petit zèbre
Qui bondit sur les vertes pelouses
Des idiomes de l'ouest.

Lolita!
Les bains de Cléopâtre
Ruissellent
De toutes les ondées éplorées
D'un très ancien printemps
Alexandrin.
Les miroirs tavelés
Des pâtisseries syriennes
Me happaient avec voracité.
Une ombre adolescente,
Toute ferveur
Y fit naufrage
Successivement
Dans chaque vitrine, dans chaque glace
Du lupanar marin.
Ville d'Alexandre,
Frémissante sous le vent
Descendu comme en plein rut
De la mer septentrionale.
Non, Lolita! Pas l'Océan,
Est-ce même la Méditerranée,
Celle qu'on appelle
La mer du Nord
La mer aux yeux blancs?

Ping! Ping! Ping!
Trois cailloux
Trois ricochets
Bien visé Lolita
Le vieil homme a mal au coeur
Une griffe rose y enfonce
Epinglé
Sphinx noir
Sur ton tableau de chasse,
A jamais momifié
Le chasseur enchanté.

Un homme me regardait dormir
Hôtel Globe et Cécil
Caressant les boules de cuivre du lit
Luminaires célestes
Reflétant miniaturisées
Quatre fillettes de seize ans
Au corps lascif et content
Si loin d'Alexandrie,
Lolita!
Vois,
On ne joue plus que de vieux films
En noir et blanc
Sur les draps tendus sans désir
Mortel écran.

 

 

Notre Dame d'Eastern Airline

J'ai sur la main
La marque de l'amour
Le guerrier chinois
Se dresse
Cuit dans la glaise
Ses pieds se descellant
Ecraseraient l'ibis
Oiseau mort
De pierre noire
Au profil de faucille
Oiseau cadavérique
Un jour
Cela vola.

Sur la main
La marque
D'anciennes chutes
Ecorchures de graviers
A jamais indurées
J'ai fait le saut à l'élastique
J'ai passé des nuits
Et des jours
Des années
Dans des avions
Les mêmes
Toujours
Tragiques
Où dormaient seuls
Les boeufs
Et les petits enfants
Donnerait-on au sommeil
Une heure
Que l'on saurait dernière?

Des nuits dans les avions
Sans vieillir d'un seul jour
J'allais plus vite
Que la rotation terrestre
Plus vite que ma soif
Plus vite
Que ma tiare flamboyante
De madone outragée
Je ne voyais personne
Je traversais
La transparence des hommes
Des villes
Des continents
Avec la passion
D'une charmante idole véloce
La main
La marque
L'amour.

Les Cartes

Le bateleur pipait les dés
Et cachait les canifs dans ses manches
Trois cartes
Allons, vite, tirez
Et retournez-les sur la planche.

La dame de coeur jadis fut belle,
Pleurez à son teint qui se fane
Galants étaient à la douzaine,
Aucun que sa main ne retienne.

Un chariot passe qui les emporte
Deux chiens aboyant aux essieux
La roue de la fortune gire
En haut le Monde
La Mort en creux
Tourne la roue
Qui précipite
la tête en bas, les audacieux
Babel gothique, sommet d'orgueil
La Maison-Dieu.
Ils n'en ont cure
Ivres pécheurs,
Las! dans leur chute cueillent des fleurs.

Es-tu l'Hermite ou l'Empereur,
Front traversé d'ombres mouvantes?
Es-tu né des nappes nocturnes
Où les grenouilles agonisent
Bavant de l'encre en cadence?
Es-tu l'ombre dans la pénombre?

Tu n'es pas plus maître de l'air
Que des oiseaux
Fils du secret.
L'autre à la tiare solaire
Taillé dans ses plis de calcaire
Marbré par la mort impuissante
Reste cloué dans l'azur
Paralytique céleste.

Pas plus Mithridate
Tenant les flammes en faisceau
Que moi l'Etoile
Aux aiguières ruisselantes.
Qui crut voir les étoiles aux visages de filles
Germer en parterres de glaïeuls
Dans un ciel descendu en pente?
Qui vit les étoiles filantes
Blondes filles d'Eve
Et d'Iseut qui Tristan aima?

Battez les cartes
Et le remords
Pendu à son talon d'Achille
Coupez le Diable aux pieds de chèvre
Donnez le glaive et le bâton!

Le bateleur pipait les dés
Truquait les cartes
La première
Fut la dernière
Gai bateleur escamoté.

 

 

Roman

Seul un arbre odorant
Dressé
Parmi les tombes qui ne sont plus.
L'aire est de poudre fine
Les stèles emportées
Les morts restent là
Sans piper
Qui le saurait?
Grande patience
On a pris les croix et les pierres
Mes morts sans noms
Etes-vous là?
Vous m'attendez
Depuis l'enfance
Massés en pauvres madriers
Contre l'abbaye sans toiture.
Vous m'attendez
Depuis les jeux de chat perché
Hop! sur l'autel!
Hop! sur la tour liseronnée
Et s'allonger en pleine nef
Sur les dalles mangées des herbes
Prises de folie
La nef des fous!
De gras corbeaux signent l'automne
D'un ciel sans fond
Crient que le toit s'est envolé
Quand?
Le sait-on?

Par paires
Des chevaux dans le clos
Disent l'idylle,
Tant élégants!
Derrière les murets aux pierres rondes
L'amour se cache dans les vergers
Depuis le Roman de la Rose.
Quelques arpents de terre
Hautement civilisés
Le paysage a des gracieusetés
De visage de madone italienne
Et les cheveux flavescents de la petite voisine florentine
Auburn - un cheveu rouge, un cheveu brun
Emportés dans un tour vif de bicyclette
Cuivre aux rayons
O la fanfare solaire
Sur l'or souillé des frondaisons
Où achèvent de tiédir
Les pêches
De l'arrière saison.

Un rideau de peupliers
Un pont roman
Juste incurvé
Un chemin sablonneux
Le long de la rivière
Au loin, la fraternité des pommiers
Bien étalés, se touchant juste
Du bout des branches.
Quel temps fait-il?
Il fait toujours.
Depuis l'enfance tu reviendras
Et tu seras encore celle,
La même,
Qui cherchait les trésors,
Les trouva
Les dissipa
Voilà que tu les cherches encore.

 

 

MONTE PALOMA

Derrière les monts de Tolède
Commence la terre de mon père.
Comme la pente y est sévère
On voit le ventre des vipères
Glisser
Sur des rampes de lave.

Les taureaux n'aiment que la nuit
Car les étoiles sentent le ciste,
Les mares impriment sur leurs fronts
L'entêtement d'un vin herbé.
Qui les chevauche,
Le sait-on,
Quand ils vagabondent ahuris
Dans les bosquets de chênes liège?

Derrière les monts de Tolède
Les routes s'évaporent aussi vite que l'eau
Et j'ai marqué mon pied
Au fond souple des lacs
Vides
D'Extrémadure.
Les chemins en cordes sableuses
Lient les montagnes aux poings.

Le village est au cimetière
Sur la colline des cigales
Ce sont des tombes solaires
Les morts n'y rongent pas la terre
Ils sont allongés au soleil
Dans les alvéoles toutes blanches
De cette ruche mortuaire
Et le spectacle est si joli
Avec ses bouquets de fleurs fraîches
Qui ont la douceur des siècles
Qu'on penserait qu'elles ont neigé
Des nappes brodées du dimanche.

Le guérisseur cueille des simples
Autour de l'enclos du sommeil
La camomille, le romarin,
La belladone et puis le thym
Et le pavot toujours vermeil.

Plus profondément que les morts
Dorment les mines aux veines d'or
Car les hommes n'ont plus souvenir
D'anciennes mines aurifères
Qui attirèrent ceux de Séville,
Mains de feu, coeurs de poussière,
Jusqu'à la terre de mon père.

Mais mon père sait le prix de sa terre
Il entend le sang des oliviers.
Sur le tronc du plus bel arbre
Il a mis son nom espagnol
De son écriture orgueilleuse,
Ouvrée comme un portail d'église,
Belle arabesque tolédane.

Mon père a quitté sa terre
Pour un cimetière de capitale.
Je n'irai pas à l'immense ossuaire
Chercher sa dalle
Et son pardon,
Il me suffira de voir
Derrière les monts de Tolède
Son nom rougir dans la montagne.

     

 

Couverture de la revue Anthologie Triage aux éditions TarabusteAnthologie Triages
éditions Tarabuste, 2001

Ils sont trois: Claudine Martin, Djamel Meskache et Tatiana Levy.
Ils éditent au « bled » depuis vingt ans. Ils ont un pied à Saint-Benoît-du-Sault, ils ne sont pas installés, ils dérangent même avec leurs livres qui tiennent la route, leurs réseaux d’amitié qui déroutent les grosses têtes de réseaux. Un peu comme font leurs deux auteurs phares – il faudrait parler de loupiottes qui résistent à tous les vents de la mode, du conformisme ou du culturel.

Éditions Tarabuste
Rue du Fort
36170 Saint-Benoît-du-Sault

 

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