VOYAGER
Et tu auras compris les sources du plaisir Halo obscur qu'allume le jour Et qui rougeoie en plein midi Mais se consume seul Aux chapelles de la nuit.
Et tu sais les corps qui enfantent Qui se distendent comme des métaux Femmes lunaires Multipliées Par les phases du sang nouveau Leur ventre lisse est une enclume.
Et tu as soif des départs Lorsque le corps s'affranchit Des terres écorchées rose vif Contre les montagnes plénières.
Tu voudrais te couler dans les routes étranges Les laisser te conduire Limoneuses, Routes-Nil, routes-Gange Profondes, Routes-Rhin, routes-Rhône, Routes-Mississipi.
Il ne s'agit plus de retourner En d'illusoires pélerinages Aux chers calvaires du passé Car nous avons tourné la page.
Chercher les hommes où qu'ils se trouvent Aux campagnes blessées par l'été, Aux gares taillées dans le goudron des nuits Dans les bars Où ceux qui allaient mourir Une fois dernière Saluaient Un coup de rouge, un coup de blanc, Les coeurs vibraient dans la fumée, Le diable hurlait sous les tables Les visages se tordaient Comme d'antiques lessives Durcies aux aubes de Décembre, A chaque avalanche de rires Plombés Tu tressaillais. Fermez la porte au grelot mort! Rouleaux de vent rasant les plinthes... Je parle ici d'un de tes rêves Qui te fit beaucoup voyager.
CIELS
Le ciel va vite Et court vers l'Est Radeaux propulsés gris fumée Coulent nuages Véloces Mississipis de silence A des hauteurs A des hauteurs Hauteurs profondes.
Le ciel va vite Les morts pourchassent Tassés à gauche pêle-mêle Dans un désordre d'Occidents De tibias et de linges lacérés Bandelettes flottantes Comme des oriflammes Serait-ce la chevauchée Hennequin Ce noir tumulte Qui n'est qu'un point?
L'amour va vite La mort talonne Rêve pour mensonge Joie pour nuitée Le ciel va vite Les baisers filent...
La Maison du pendu
C'est toujours la maison du pendu Où fermentent les feuilles mortes La rivière grosse de l'automne Traînant Demi noyées D'étranges rames Longs corps ligneux Membres tronqués Dans la déroute des eaux montantes. Les jeudis d'Octobre engloutis Les enfants En rouges cohortes Se jettent aux vitres Comme mitraille Avec le froid, avec la bruine Saccages vertigineux Dans chaque pièce au sol disjoint Et sur les gravats d'autres âges. Mutilés, feuilles volantes, Ailes arrachées, Cent journaux, autant de gazettes: "Modes de Paris" pour demoiselles Couchées sous la terre trempée Tapis de feuilles tuées Masquant la traîtrise vermoulue des planchers Dieu qu'il fait bon donner du pied Effriter la moisissure Estampillée au coeur des pages! Broyer les dos aux fils brunis Par la crasse, les déluges ou les incendies! Les jeunes goths s'amusent fort Aux poches les pommes de maraude La volière de feuilles Sentant la suie mouillée, les girolles Tourbillonne Sous les coups de pied glaiseux Et les bourrasques hurlées Aux gorges vastes des cheminées. Les enfants s'activent au carnage Car c'est Jeudi Un jour de pluie Ils savent les journaux d'un autre âge D'avant la mort De bien avant leur naissance Et qu'il siéra Au moment de prendre le large De s'accroupir sous l'escalier Pour s'y torcher avec deux pages Car c'est ainsi que l'on conjure La malédiction du pendu.
Le joint du ciel et de l'enfer
Encore ai-je bu la saison Aux collines crépusculaires! Parois fumantes De feuilles mortes Filant aux brasiers de Novembre, Des plaines lasses Comme des femmes, Tapies Sous leurs manteaux de cendre.
J'ai bu la brume Et puis le vent Et les fleuves montés au ciel, Encore la piqûre sur la langue Des brouillards grisants de Novembre. J'ai bu aux sources de l'hiver.
Quand tout se sera assoupi, La Nuit, vigile solitaire, En tournoyant sur nos yeux clos Eveillera, Rêves de voile! Rêves de mer! Où donc est la passe secrète Qui mène aux îles fortunées? De quel côté du mur de brume? Dans quel pli De la gaze de pluie?
Appareillez, vieux rêves Celtes! La terre est par-delà l'horizon, Mais l'horizon je ne devine Tout est noyé de par la bruine La terre est par delà le frimas, Là où les morts rient au soleil, Et les Rois, dans leurs capes d'hermine, D'éternité tiennent conseil.
Je suis la biche méhaignée Blanche de robe Qui court au ciel. Elle sait la fissure et la faille De la nébuleuse muraille.
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Lolita d'Alexandrie
Si loin d'Alexandrie Lolita! Hôtel Globe et Cécil Le majordome nubien Akhénaton en livrée bleu de Prusse A posé le plateau du petit déjeuner Se détournant à dessein Du drap sabré de jour limpide. Le flot d'une chevelure enfantine En jaillit Comme un trophée charmant.
Aux bains de Cléopâtre En maillot plus noir Que les sept péchés capitaux Sur sa chair pâle et meurtrie Lolita! Février roulait des tramways incertains Alourdis par la pluie Et l'oubli des nageurs de l'été Sur la corniche violentée.
On mimait l'amour dans les maisons closes Et sur les écrans géants De la luxure en velours rouge. Vanille et ambre solaire Jonhson baby oil Ton parfum traverse l'écran. Les naïades depuis des lustres Lovées amoureusement Au plafond astronomique Fées redevenues étoiles Tordent leur croupe Sous la fourche des tritons. Cinéma Toutmès Sis place de la Révolution.
Lolita! Les bains de Cléopâtre Dégoulinent De toutes les ondées livides D'un vieux printemps alexandrin. Decadere! Un jour La ville glissera dans la mer Fondra Ira vers sa dissolution. Tout est funèbrement décadent Buriné, crevassé, percé de trous de ciron Comme ces blocs de granite Géants friables, piqués de petite vérole Que la grue tire, couverts d'algues Des fonds marins Au large de l'île de Pharos. Et ces sphinx Aux flancs historiés de coquillages!
La ville a la lèpre de l'histoire. Si vieux: les quais, les bars, Les marins gallois ou galliciens Toujours les mêmes marins, Même terre, même mer, Même remembrances d'antiques naufrages Chantés dans les idiomes de l'Ouest. Le temps coule et se délite Tout est si vieux! Sauf toi, Lolita! Aux frêles membres hachurés Tranche à tranche. Du pain blond Sectionné par les lamelles du store. Dans les rayures du sombre au clair Un peu de toi existe Et s'anéantit aussitôt. Eclairs de Lolita Petit zèbre Qui bondit sur les vertes pelouses Des idiomes de l'ouest.
Lolita! Les bains de Cléopâtre Ruissellent De toutes les ondées éplorées D'un très ancien printemps Alexandrin. Les miroirs tavelés Des pâtisseries syriennes Me happaient avec voracité. Une ombre adolescente, Toute ferveur Y fit naufrage Successivement Dans chaque vitrine, dans chaque glace Du lupanar marin. Ville d'Alexandre, Frémissante sous le vent Descendu comme en plein rut De la mer septentrionale. Non, Lolita! Pas l'Océan, Est-ce même la Méditerranée, Celle qu'on appelle La mer du Nord La mer aux yeux blancs?
Ping! Ping! Ping! Trois cailloux Trois ricochets Bien visé Lolita Le vieil homme a mal au coeur Une griffe rose y enfonce Epinglé Sphinx noir Sur ton tableau de chasse, A jamais momifié Le chasseur enchanté.
Un homme me regardait dormir Hôtel Globe et Cécil Caressant les boules de cuivre du lit Luminaires célestes Reflétant miniaturisées Quatre fillettes de seize ans Au corps lascif et content Si loin d'Alexandrie, Lolita! Vois, On ne joue plus que de vieux films En noir et blanc Sur les draps tendus sans désir Mortel écran.
Notre Dame d'Eastern Airline
J'ai sur la main La marque de l'amour Le guerrier chinois Se dresse Cuit dans la glaise Ses pieds se descellant Ecraseraient l'ibis Oiseau mort De pierre noire Au profil de faucille Oiseau cadavérique Un jour Cela vola.
Sur la main La marque D'anciennes chutes Ecorchures de graviers A jamais indurées J'ai fait le saut à l'élastique J'ai passé des nuits Et des jours Des années Dans des avions Les mêmes Toujours Tragiques Où dormaient seuls Les boeufs Et les petits enfants Donnerait-on au sommeil Une heure Que l'on saurait dernière?
Des nuits dans les avions Sans vieillir d'un seul jour J'allais plus vite Que la rotation terrestre Plus vite que ma soif Plus vite Que ma tiare flamboyante De madone outragée Je ne voyais personne Je traversais La transparence des hommes Des villes Des continents Avec la passion D'une charmante idole véloce La main La marque L'amour.
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Les Cartes
Le bateleur pipait les dés Et cachait les canifs dans ses manches Trois cartes Allons, vite, tirez Et retournez-les sur la planche.
La dame de coeur jadis fut belle, Pleurez à son teint qui se fane Galants étaient à la douzaine, Aucun que sa main ne retienne.
Un chariot passe qui les emporte Deux chiens aboyant aux essieux La roue de la fortune gire En haut le Monde La Mort en creux Tourne la roue Qui précipite la tête en bas, les audacieux Babel gothique, sommet d'orgueil La Maison-Dieu. Ils n'en ont cure Ivres pécheurs, Las! dans leur chute cueillent des fleurs.
Es-tu l'Hermite ou l'Empereur, Front traversé d'ombres mouvantes? Es-tu né des nappes nocturnes Où les grenouilles agonisent Bavant de l'encre en cadence? Es-tu l'ombre dans la pénombre?
Tu n'es pas plus maître de l'air Que des oiseaux Fils du secret. L'autre à la tiare solaire Taillé dans ses plis de calcaire Marbré par la mort impuissante Reste cloué dans l'azur Paralytique céleste.
Pas plus Mithridate Tenant les flammes en faisceau Que moi l'Etoile Aux aiguières ruisselantes. Qui crut voir les étoiles aux visages de filles Germer en parterres de glaïeuls Dans un ciel descendu en pente? Qui vit les étoiles filantes Blondes filles d'Eve Et d'Iseut qui Tristan aima?
Battez les cartes Et le remords Pendu à son talon d'Achille Coupez le Diable aux pieds de chèvre Donnez le glaive et le bâton!
Le bateleur pipait les dés Truquait les cartes La première Fut la dernière Gai bateleur escamoté.
Roman
Seul un arbre odorant Dressé Parmi les tombes qui ne sont plus. L'aire est de poudre fine Les stèles emportées Les morts restent là Sans piper Qui le saurait? Grande patience On a pris les croix et les pierres Mes morts sans noms Etes-vous là? Vous m'attendez Depuis l'enfance Massés en pauvres madriers Contre l'abbaye sans toiture. Vous m'attendez Depuis les jeux de chat perché Hop! sur l'autel! Hop! sur la tour liseronnée Et s'allonger en pleine nef Sur les dalles mangées des herbes Prises de folie La nef des fous! De gras corbeaux signent l'automne D'un ciel sans fond Crient que le toit s'est envolé Quand? Le sait-on?
Par paires Des chevaux dans le clos Disent l'idylle, Tant élégants! Derrière les murets aux pierres rondes L'amour se cache dans les vergers Depuis le Roman de la Rose. Quelques arpents de terre Hautement civilisés Le paysage a des gracieusetés De visage de madone italienne Et les cheveux flavescents de la petite voisine florentine Auburn - un cheveu rouge, un cheveu brun Emportés dans un tour vif de bicyclette Cuivre aux rayons O la fanfare solaire Sur l'or souillé des frondaisons Où achèvent de tiédir Les pêches De l'arrière saison.
Un rideau de peupliers Un pont roman Juste incurvé Un chemin sablonneux Le long de la rivière Au loin, la fraternité des pommiers Bien étalés, se touchant juste Du bout des branches. Quel temps fait-il? Il fait toujours. Depuis l'enfance tu reviendras Et tu seras encore celle, La même, Qui cherchait les trésors, Les trouva Les dissipa Voilà que tu les cherches encore.
MONTE PALOMA
Derrière les monts de Tolède Commence la terre de mon père. Comme la pente y est sévère On voit le ventre des vipères Glisser Sur des rampes de lave.
Les taureaux n'aiment que la nuit Car les étoiles sentent le ciste, Les mares impriment sur leurs fronts L'entêtement d'un vin herbé. Qui les chevauche, Le sait-on, Quand ils vagabondent ahuris Dans les bosquets de chênes liège?
Derrière les monts de Tolède Les routes s'évaporent aussi vite que l'eau Et j'ai marqué mon pied Au fond souple des lacs Vides D'Extrémadure. Les chemins en cordes sableuses Lient les montagnes aux poings.
Le village est au cimetière Sur la colline des cigales Ce sont des tombes solaires Les morts n'y rongent pas la terre Ils sont allongés au soleil Dans les alvéoles toutes blanches De cette ruche mortuaire Et le spectacle est si joli Avec ses bouquets de fleurs fraîches Qui ont la douceur des siècles Qu'on penserait qu'elles ont neigé Des nappes brodées du dimanche.
Le guérisseur cueille des simples Autour de l'enclos du sommeil La camomille, le romarin, La belladone et puis le thym Et le pavot toujours vermeil.
Plus profondément que les morts Dorment les mines aux veines d'or Car les hommes n'ont plus souvenir D'anciennes mines aurifères Qui attirèrent ceux de Séville, Mains de feu, coeurs de poussière, Jusqu'à la terre de mon père.
Mais mon père sait le prix de sa terre Il entend le sang des oliviers. Sur le tronc du plus bel arbre Il a mis son nom espagnol De son écriture orgueilleuse, Ouvrée comme un portail d'église, Belle arabesque tolédane.
Mon père a quitté sa terre Pour un cimetière de capitale. Je n'irai pas à l'immense ossuaire Chercher sa dalle Et son pardon, Il me suffira de voir Derrière les monts de Tolède Son nom rougir dans la montagne.
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