express logo

jardin_désert

L'Express - Sandra Benedetti - Avril 2019

 

Un Jardin au désert

 

Pas si évident de planter une fiction au coeur de l'Arabie Saoudite sans sombrer dans les clichés. A moins d'y avoir vécu, comme Carine Fernandez. Vingt-cinq ans de bourlingue l'ont menée du Liban aux Etats-Unis, de l'Egypte au royaume saoudien, où elle a passé douze ans. Une géhenne, selon ses propres termes, dont elle s'est échappée pour établir ses pénates en France. Mais on ne se défait pas d'un claquement de doigts du Moyen-Orient, ses sables crissent dans la mémoire. Elle les a déversés dans plusieurs romans et les édifie maintenant en dunes mouvantes dans Un Jardin au désert.

Le vieux et richissime Talal cristallise les contradictions d'un pays engoncé dans une culture d'un autre siècle, tandis que le printemps arabe tambourine à sa porte en ce début des années 2010. Croyant sans excès de zèle, effaré par la radicalisation de l'un de ses trois fils, enchanté par les démangeaisons libertaires de Dahlia, sa petite-fille adorée, Talal Bahahmar a eu dix épouses d'origines différentes. La dernière lui casse les savates et la première veille sur sa mère dans le palais qu'il lui a offert près de Riyad. Retiré dans une masure pour savourer les odeurs de la terre, le patriarche s'entiche de son jardinier égyptien. Rezak est jeune, beau, rieur, érudit et possède l'art de remettre la mosquée au milieu du village. Le vieillard voit en lui le rejeton idéal qu'il n'a pas eu et, de retour en sa vaste demeure, l'impose à sa famille. Un va-nu-pieds à la table des cheiks en blanc, faut-il que Talal soit maboul.

Les fistons légitimes régurgitent leur bile, le père se marre. Sa malice n'a d'égale que sa lucidité, galvanisée par Rezak et Dahlia. Des ombres gigotent chez les Bahahmar, des morts pleurés en secret, des zélateurs hypocrites d'une religion obscurantiste et des étrangères privées de leurs enfants. Carine Fernandez les claque sur les marbres et les tapis précieux. L'oeil acéré et moqueur, elle regarde cette tribu dorée sur tranche se débattre avec ses faux-semblants, la tendresse en coin pour les anciens avides de sérénité et les benjamins affamés de liberté. A ceux-là, il est possible que le désert accorde des jardins.
S.B.