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Les ailes du bizarre

 

Le mot vous bourdonne à l'oreille comme un vol lourd de frelon, vous interpelle, vous importune. Un malaise dont on ne se défait pas d'une tape. Un danger.
Car il y a d'abord la vibration des sons: le "biz", la bise, le baiser des labiales, puis la dentale sur laquelle la pointe de la langue vient siffler. L'éclair du Z, matrice du bizarre. Il suffit d'ouvrir le dictionnaire à la lettre Z, porte étroite du club très select, réservé aux mots VIP, où le zénith côtoie le zèbre, le zoo, le zeugma, le zélote et l'imprédictible zigzag. Je reste fidèle aux surprises du Z accroché comme le grelot du serpent crotale à la dernière lettre de mon nom: Fernandez. Sifflez serpents, tressés en couronne au-dessus de nos têtes!

A des lecteurs qui me demandaient pourquoi j'avais appelé l'héroïne de la Servante abyssine, Zinesh, je me souviens avoir répondu: "parce que de tous les prénoms Erythréens c'était le plus bizarre". Une raison suffisante.

Le bizarre ne se définit pas. Comment se conformerait-il à une définition? Il est le non conforme. Le bizarre, c'est ce qui résiste. Qui échappe aux représentations et loin de vous laisser la sensation étrange, mais réconfortante, du déjà vu, de l'anamnèse, il vous claque au nez son incongruité de jamais vu. Le bizarre ne se laisse pas identifier. Comment le reconnaîtrait-on? Il n'a pas son semblable. Il ne ressemble à rien. C'est ce qui inquiète, cette charge obscure de mystère. Les terreurs du fantastique ne sont pas loin.
Le bizarre est inclassifiable, il est contamination, hybridation, déséquilibre, vertige qui fait vaciller les catégories du juste, du bon et du beau. Du beau parlons-en. Les déclarations de Baudelaire, convaincu que le "beau est toujours bizarre", au-delà de la provocation du dandy à la veste au col d'entonnoir, prompt à épater le bourgeois, du décadent et de l'amoureux de la modernité, nous rappellent le traducteur de Poe qui sut restituer le comique luciférien de "l'ange du bizarre".

Le bizarre piège le rêve et l'ombre, c'est ce que revendiqueront les Surréalistes, apôtres du bizarre. Breton dans son Anthologie de l'humour noir dresse catalogue des arpenteurs de ces terrae incognitae du bizarre où le rire se fait grimace - ou le contraire -; où l'imagination s'affirme résolument comme la folle du logis, défilé de bien jolis monstres qu'on croirait échappés des toiles de Bosch, nous soufflant que le bizarre serait fils de Folie. De Folie, mais aussi de Liberté.